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Archives de février, 2016

René Girard

William Holman Hunt: The Scapegoat, 1854.

Le chercheur par qui le scandale arrive

René Girard, philosophe, anthropologue révolutionnaire, intellectuel au parcours singulier, théoricien du «désir mimétique», nous a quittés en novembre 2015. Ses livres – souvent difficiles – ont offert une vision audacieuse et vaste de l’histoire et de la destinée humaine. René Girard assumait le «scandale» de croire à la vérité révélée du christianisme dans un siècle voué au doute.

Rene GirardTraduite dans de nombreuses langues, son œuvre est encore mal connue en France. Son élection à l’Académie française, en 2005, à l’âge de 80 ans passés, avait été une véritable reconnaissance pour l’intellectuel.

«Je peux dire sans exagération que, pendant un demi-siècle, la seule institution française qui m’ait persuadé que je n’étais pas oublié en France, dans mon propre pays, en tant que chercheur et en tant que penseur, c’est l’Académie française», dit-il ce jour-là dans son discours devant les Immortels (1).

Ses textes ont provoqué engouements et critiques, les uns lui reprochant son analyse trop systématique, les autres de dresser une apologie du christianisme. L’université française s’est pendant longtemps gardée de se pencher sérieusement sur l’œuvre d’un penseur que son catholicisme assumé rendait suspect.

Une œuvre autour des religions

Né un soir de Noël 1923 à Avignon, René Girard consacre d’abord sa carrière à l’étude des religions dans les sociétés humaines et aux logiques de mimétisme qui aboutissent à la violence. Pour lui, tous les récits sacrés ont en commun un meurtre fondateur. Ce constat sert de base à son livre phare La Violence et le Sacré, publié en 1972. René Girard s’intéresse au rôle du bouc émissaire dans les groupes. À la lecture de l’Évangile, il explique que seul le christianisme est capable de changer le mécanisme victimaire qui fonde les religions.

Il aimait à s’amuser des malentendus provoqués par son œuvre.  Il racontait qu’à la fin de ses conférences, des lecteurs enthousiastes venaient le voir pour lui confier qu’il avait vu juste, que les boucs émissaires existaient, qu’ils étaient effectivement le socle de la vie commune, et que d’ailleurs lui, René Girard, avait la chance d’en avoir un en face de lui. Ce qu’il percevait ainsi, c’était la naissance de cette concurrence victimaire qu’une compréhension superficielle de son œuvre contribuait à exacerber.

Quand ses contemporains cherchaient la vérité sur l’origine des institutions humaines chez Marx et Freud, René Girard la trouvait dans les Écritures, lues en parallèle des plus grands romans de la littérature mondiale : Le Rouge et le Noir, Madame Bovary, Don Quichotte, Les Frères Karamazov, À la recherche du temps perdu. Il a ainsi créé une nouvelle herméneutique, une interprétation renouvelée des textes, car il a toujours refusé le divorce entre savoir et littérature. Il disait qu’après les Évangiles, les textes les plus éclairants sur notre culture ne sont ni philosophiques, ni psychologiques, ni sociologiques, mais littéraires. «Je suis personnellement convaincu que les écrivains occidentaux majeurs, qu’ils soient ou non chrétiens, des tragiques grecs à Dante, de Shakespeare à Cervantès ou Pascal et jusqu’aux grands romanciers et poètes de notre époque, sont plus pertinents pour comprendre le drame de la modernité que tous nos philosophes et tous nos savants.»

La révolution du désir mimétique

L’opinion dominante, tant en sciences humaines que dans le sens commun, consiste à dire que l’homme fixe de façon autonome son désir sur des objets. Cela veut dire que chaque objet possède en lui une valeur censée susciter ce désir. C’est bien le sentiment que nous donne notre expérience quotidienne : le désir que j’ai pour cette personne, l’ambition de réussir dans ce métier, ou la voiture que j’envisage d’acheter, semblent bien procéder de mon libre choix. Cette vision linéaire du désir a l’avantage d’être simple, mais elle oblige à un certain nombre de contorsions lorsque nous tentons de rendre compte de phénomènes liés au désir, comme l’envie ou la jalousie.

René Girard montre qu’en réalité nous envions la personne qui possède l’objet désiré, ce dernier n’ayant alors qu’une importance toute relative. Et nous tirons davantage de satisfaction du fait que l’autre ne possède pas l’objet que de le posséder soi-même. La publicité, cet hymne à la possession d’objets, nous donne d’abord à désirer, non pas un produit dans ce qu’il a d’objectif, mais surtout de ressembler à ceux qui le possèdent tant ils semblent comblés par sa possession.

En analysant les grandes œuvres romanesques, René Girard repère ce mécanisme du désir humain. Celui-ci ne se fixe pas de façon autonome selon une trajectoire linéaire : sujet – objet, mais par l’imitation du désir d’un autre, selon un schéma triangulaire : sujet – modèle – objet. C’est le désir mimétique, du mot grec mimesis, qui veut dire imitation. L’hypothèse de René Girard repose donc sur l’existence d’un troisième élément, médiateur du désir, qui est l’Autre.

Cette première grande hypothèse est devenue l’une des bases de sa pensée ultérieure. Elle a acquis une sorte de notoriété proverbiale, jusqu’à constituer pour beaucoup un élément de base de la culture contemporaine auquel il est possible de se référer comme à un acquis. L’autre est un obstacle autant qu’un modèle, un obstacle détesté autant qu’un modèle servilement imité et adoré. Et c’est ce désir mimétique qui crée la violence, car le modèle est avant tout un obstacle qu’il faut supprimer. C’est l’une des caractéristiques du ressentiment, où l’on préfère perdre soi-même pourvu que l’autre perde. Chez le kamikaze, par exemple, cette logique perverse est poussée à l’extrême.

 

William Holman Hunt: The Scapegoat, 1854.

William Holman Hunt: The Scapegoat, 1854.

 

Le rôle du bouc émissaire

À partir de là, Girard formule sa théorie du sacrifice et des rites. La violence du désir mimétique ne connaît pas de frein dans la société, et ouvre une suite folle de vengeances sans fin. La violence est donc fondatrice de la constitution des sociétés. Le sacrifice rituel est instauré pour détourner cette violence sur une victime choisie unanimement par tous, un bouc émissaire qui la canalise et l’expulse. Ainsi, les conduites rituelles et sacrificielles trompent la violence, en la détournant sur d’autres objets, sur des victimes de rechange. Elles sont alors purificatrices car elles débarrassent pour un temps la société de ses souillures. Dans les sociétés de droit comme nos sociétés actuelles, c’est le système judiciaire qui remplace les anciens rites et sacrifices ; il organise, limite et en même temps dissimule la soif de vengeance sous un fonctionnement rationnel et impartial. René Girard a notamment développé ces analyses dans La Violence et le sacré (1972) et dans Des choses cachées depuis la fondation du monde (1978).

Girard voit dans les mythes grecs, comme celui d’Œdipe qui est exilé, accusé de parricide et d’inceste avec sa mère, dans le démembrement du jeune Dionysos par les Titans, dans le sacrifice du dieu pustuleux pour la création de Teotihuacan au Mexique, dans la condamnation de Job dans la Bible, une répétition du thème du bouc émissaire (1).

La révolution de l’Évangile

René Girard a souvent défendu la nécessité du scandale pour la pensée, un mot qu’on rencontre plus souvent dans les Évangiles que le mot péché. Le scandale, c’est le piège qui fait trébucher. Mais le scandale est aussi cet obstacle qui nous permet d’avancer. Ainsi celui de la Croix, point central de toute la réflexion sur la condition humaine de René Girard. Pour lui, c’est grâce au Christ que le bouc émissaire a cessé d’être coupable et que les origines de la violence ont enfin été révélées. Par là, la Croix nous a délivrés des religions archaïques. L’histoire de Jésus est un «retournement de mythe» qui montre que la victime dit la vérité et que c’est la persécution qui porte le mensonge. Dans les histoires précédentes, c’était déjà vrai, mais ce n’était pas dit, et les dieux paraissaient déchaînés contre leurs victimes.

Jesus sur la croixLe Nouveau Testament, l’enseignement et la vie de Jésus, démontre l’innocence de la victime, et invite à une conversion individuelle. C’est en cela que René Girard considère le message évangélique comme totalement novateur, car il permet un renoncement à la violence : cesser d’accuser l’autre, et se reconnaître soi-même comme persécuteur. Ce que prône l’Évangile, c’est le renoncement universel à la violence. Voilà une valeur qui pourrait être universelle, mais qui ne l’est pas encore !

L’œuvre de René Girard est parfois difficile d’accès, et c’est la raison pour laquelle elle a été interprétée dans des sens multiples et contradictoires. Il est incontestable que ses hypothèses, exposées avec verve, passion et courage, abordent les grandes questions de notre époque. Avoir mis en évidence le désir mimétique comme un des ressorts de l’âme, et la violence qui en résulte comme inhérente à la condition humaine est un apport significatif. L’aspect pervers du désir, il l’a magistralement montré. Il a brillamment explicité la présence du meurtre sacrificiel dans de nombreuses cosmogonies archaïques et la raison d’être du bouc émissaire dans toute société humaine.

Les théories de René Girard sur la violence et le phénomène du bouc émissaire continuent de faire débat. Les uns louent un apport quasi prophétique, dévoilant les mécanismes inconscients à l’œuvre dans la société. Les autres dénoncent une vision trop générale, voire idéologique, donnant au judéo-christianisme un rôle dominant, celui d’avoir révélé le mécanisme du sacrifice et d’en avoir détruit de ce fait l’efficacité. Sans faire mystère de ses convictions chrétiennes, René Girard a toujours revendiqué un point de vue strictement scientifique, regardant les phénomènes religieux comme une classe particulière de phénomènes naturels. Mais cette lecture heurte l’empirisme de ses adversaires, qui lui reprochent d’ignorer le terrain et d’accorder trop d’importance aux représentations et aux textes.

Les questions laissées par René Girard

Nous aurions tout intérêt à confronter la vision de René Girard sur le sacré à celle d’autres anthropologues comme Rudolf Otto, Mircea Eliade ou Gilbert Durand. Ceux-ci développent dans leurs œuvres une autre perspective, en montrant la complexité du sacré, son ambivalence au-delà du seul aspect violent. En effet, le danger d’une lecture trop rapide de l’œuvre de Girard serait de faire un amalgame entre violence et sacré, entre violence et religion. S’il est essentiel de distinguer la notion de sacré de celle de religion, les deux concepts n’étant pas synonymes, il est indispensable de distinguer l’aspect exotérique des religions, qui les amène à développer de la violence dans leur volonté d’hégémonie politique ou sociale, de leur aspect ésotérique, où elles développent un autre visage, celui de l’amour universel et de la quête d’unité. Deux contrepoids essentiels à la violence.

D’autre part, René Girard voit dans le Dieu des Évangiles une rupture totale et radicale avec le passé, avec une victime innocente, qui s’est elle-même chargée des péchés du monde, seul modèle exemplaire d’un autre rapport à la violence. C’est pourquoi il analyse les systèmes totalitaires du XXe siècle comme une résurgence des systèmes archaïques, en tant que système de persécution. Là aussi, il nous semble que l’on pourrait avec profit confronter cette vision à celle de Hannah Arendt (3) sur les systèmes totalitaires du XXe siècle, elle qui voit dans ce totalitarisme une spécificité toute moderne.

 

Par Brigitte BOUDON

 

(1) Nom donné aux élus de l’Académie française, en rapport avec la devise « À l’immortalité», qui figure sur le sceau donné à l’Académie par son fondateur, le cardinal de Richelieu
(2) Ce thème reprend la notion de pharmakos, un rite de purification utilisé en Grèce antique. Afin de combattre une calamité, une victime était choisie et traînée hors de la cité, où elle était parfois mise à mort. Cette victime sacrificielle, innocente en elle-même, était censée, comme le bouc émissaire hébreu, se charger de tous les maux de la cité. Son expulsion devait permettre de purger la cité du mal qui la touchait, d’où l’ambiguïté du terme qui pouvait signifier aussi bien «remède», «drogue», que «poison» ou «venin».
(3) Philosophe allemande naturalisée américaine (1906-1975) connue pour ses travaux sur l’activité politique, le totalitarisme et la modernité

  • Le 8 février 2016
  • Philosophie
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La crise est dans les êtres humains : nous devons retrouver l’équilibre

Rendre les circonstances responsables de la crise est une illusion. La crise vient des êtres humains. La solution serait-elle en eux-mêmes ?

 

Une année de plus, nous commençons, plongés dans un processus historique que nous avons convenu de nommer «moyen-âge» du fait de ses caractéristiques. Nous vivons précisément des caractéristiques typiques selon lesquelles l’individualité mal comprise est devenue de la séparativité. La séparativité est devenue affrontement, agressivité, elle est devenue fanatisme. Personne ne veut écouter l’autre, personne ne veut comprendre l’autre.

C’est évident que ce moyen-âge ne se vit pas de la même manière dans tous les pays du monde. Mais nous sentons tous ces formes mentales qui nous pénètrent et nous détruisent. Il ne sert à rien de se dire «dans mon pays on vit mieux», car le monde entier est plongé dans cette nuée de grande séparativité et de grande fragmentation.

The remains of destroyed houses at sunset

La crise est dans les êtres humains

On parle de crise et on adopte toujours l’attitude la plus confortable qui est de rendre les circonstances responsables de la crise.

Je crois que non, parce que les circonstances ne sont pas une entité étrangère aux êtres humains. La crise est dans les êtres humains, et la crise provient des êtres humains. Elle vient de nous, soit parce que nous l’avons provoquée, soit parce que nous l’avons laissée être provoquée par un grand confort matériel ou par une grande paresse spirituelle.

Nous laissons courir l’histoire comme si cela n’avait rien à voir avec nous. Cependant, tout ce qui arrive dans le monde est le résultat de ce qui se passe en nous. S’il y a crise chez les êtres humains, il y a crise dans le monde.

Mais cela présente un grand avantage, c’est que, si le problème vient de nous, la solution aussi est en nous.

Au départ, un immense déséquilibre

Nous vivons dans un monde inquiétant, très déséquilibré, déséquilibre qui se manifeste autant à l’intérieur qu’à l’extérieur.

À l’intérieur, nous, les êtres humains, quoi que nous ayons, nous ne sommes pas satisfaits. Toujours il y a un désespoir, un manque de quelque chose que nous ne pouvons définir. Un manque de confiance en nous-mêmes, un manque de confiance dans les autres. Et cela engendre, comme il est normal, un immense déséquilibre en chacun de nous.

Et du déséquilibre extérieur, que puis-je vous dire ? Il suffit de voir ce qui se passe jour après jour partout sur terre. Le 31 décembre,  jour supposé joyeux et festif et où les gens se réunissent pour le célébrer, les grandes capitales du monde ont multiplié leurs mesures de sécurité. Cela parle du grand déséquilibre que nous sommes en train de vivre et de la façon dont nous avons permis que ce déséquilibre progresse.

C’est curieux : nous voulions arriver au bien-être total, c’était le grand rêve et nous sommes parvenus à l’insécurité totale, c’est la grande réalité.

Personnellement, je ne crois pas que, dans ces situations, sortir dans la rue pour protester, pour crier, présente aucun intérêt car cela ne sert  qu’à se soulager un moment.

Ce n’est pas l’heure de crier ni de protester, c’est l’heure d’agir. Il faut faire quelque chose.

Je sais que nous n’avons pas accès à toutes les formes d’action nécessaires en ce moment. Mais chacun de nous peut développer une petite forme d’action qui ne soit pas seulement une protestation mais une action positive.

Retrouver l’équilibre et l’harmonie

Il faut récupérer l’équilibre. Tout ce qui se perd peut se récupérer.

Il faut récupérer l’harmonie. Si on l’a perdue, on peut aussi la récupérer.

Il faut parvenir à ce que notre monde devienne un accord harmonique, parfait, qui remplisse nos âmes et nous permette de sortir de cet enfermement de folie, de désespoir et d’inquiétude.

Je sais que tous sont très préoccupés par les crises économiques, par les crises politiques, par les crises religieuses. Mais c’est plus inquiétant en ce moment de l’histoire est qu’il y ait tant de personnes déséquilibrées psychologiquement et mentalement. Cela ne veut pas dire qu’il y a plus de malades. Cela veut dire que nous vivons dans un monde malade, et cela même pénètre en nous et nous fait perdre la stabilité.

L’attention est attirée par le fait de voir que tant de gens et si jeunes, qui n’ont pas encore commencé à faire leurs premiers pas dans la vie, ne sachent qu’en faire. C’est cela la crise car, quand on ne veut plus vivre ou qu’on ne sait pas vivre, tout le reste va se briser sous nos pas.

C’est pourquoi il est si important de récupérer l’équilibre, l’harmonie et la beauté.

Ce sont des qualités qui font partie de l’être humain, mais qu’on a laissé de côté au nom de l’absurde, de la banalité, de la laideur et du grotesque, comme un masque pour cacher notre désenchantement.

Cependant, l’harmonie existe. Chacun de nous peut émettre un son différent, mais il faut parvenir à ce qu’entre tous nous puissions créer une très belle symphonie et pas un ensemble isolé de sons qui n’ont pas trouvé l’accord et l’union.

Il reste beaucoup à faire, mais ce qu’il faut faire est beau, juste, naturel, harmonieux. C’est humain.

 

Par Délia STEINBERG GUZMAN
Présidente de l’association internationale Nouvelle Acropole
N.D.L.R. Le chapeau et les intertitres ont été rajoutés par la rédaction

  • Le 6 février 2016
  • Philosophie à vivre
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Les Mystères d’Osiris, mystères de la renaissance

Une très belle exposition présentée à l’Institut du Monde Arabe, a mis en valeur les extraordinaires découvertes sous-marines de Frank Goddio sur les sites immergés de Thônis Héracleion et de Canope qui dévoilent les rituels liés à la renaissance d’Osiris.

 

271_Mysteres_Osiris1Depuis 1996, l’archéologue sous-marin français Franck Goddio mène des fouilles sous-marines près des côtes égyptiennes à la recherche de l’ancienne région canopique submergée et de vestiges du patrimoine artistique égyptien antique. C’est ainsi qu’il  découvert en 2000 la ville de Thônis-Heracleion, en baie d’Aboukir, son port et son temple ainsi que la ville de Canope. De récentes fouilles ont mis à jour de nombreux témoignages archéologiques de la période ptolémaïque et romaine, en relation directe avec les Mystères d’Osiris : monuments, statues, instruments rituels, offrandes cultuelles… attestant ainsi de la célébration des «Mystères», en ce lieu.

Célébrés dans toute l’Égypte, ils faisaient revivre, renouvelaient et perpétuaient une des légendes fondatrices du pays, celle de la triade divine Osiris – Isis – Horus.

Osiris, le dieu vivant

Fils de la déesse du Ciel (Nut) et du dieu de la Terre (Geb), Osiris hérita de la royauté terrestre. Il enseigna aux hommes l’agriculture, leurs donna des lois, leur apprit à adorer les dieux, leur apporta la civilisation. Être bienfaisant, il connut la trahison de son frère Seth dont la conspiration entraîna sa mort. Son cadavre fut découpé en morceaux et les fragments furent disséminés à travers l’Égypte. Sa sœur et épouse Isis se mit en quête de chacune des parties du cadavre du dieu, les retrouva une à une et reconstitua le corps de son défunt mari. Osiris dut son salut à l’amour et à la piété conjugale qui le firent revivre. Aidée de sa sœur Nephtys et du dieu chacal Anubis, Isis inventa les gestes de la momification pour la sauvegarde de tous, car Osiris fut le premier être à avoir connu la mort. Ses plaintes invitaient le dieu à renaître. Sous la forme de milan, au chevet d’Osiris, Isis battait des ailes pour lui rendre le souffle de vie. Osiris triompha ainsi de la mort et apporta à l’humanité la promesse d’une survie éternelle. Il devint le souverain de l’au-delà et le juge des défunts. De l’union posthume d’Osiris avec Isis naquit Horus. Il vengea son père et devint le roi légitime de l’Égypte. Il devint le modèle du pharaon idéal auquel chaque souverain cherchait à s’identifier.

271_Mysteres_Osiris_5Le mythe d’Osiris exprime la confrontation avec la mort. Osiris subit la mort pour en triompher. Seth tue son frère et prend le pouvoir mais son règne est suivi de celui d’Horus, fils d’Isis et d’Osiris vengeur de son père. Seth incarne la part de désordre intrinsèque à l’ordre et nécessaire à sa dynamique. Le roi unissait dans sa personne les deux dieux en lutte incessante qui trouvaient en lui un équilibre. Le mythe osirien constituait une structure morale et intellectuelle de la société égyptienne, assignait une place à l’homme, décrivait un ordre qui, à chaque instant, menaçait de se dissoudre. Les rites permettaient sa conservation. Pour cela, l’offrande essentielle du culte journalier était celle de la Maât, la justice, équilibre, harmonie à préserver à chaque instant. Cette offrande impliquait la société toute entière : les hommes devaient agir selon Maât, conformément à l’ordre établi dans la nature.

Les fêtes rituelles des Mystères d’Osiris

Les Mystères d’Osiris constituaient les fêtes rituelles les plus importantes de l’année. Depuis le Moyen Empire d’abord à Abydos, dans la ville sacrée d’Osiris puis dans toutes les métropoles d’Égypte, l’effigie du dieu sortait du temple sur sa barque, triomphant, dans la liesse populaire. Des prêtres mimaient certains épisodes de la passion du dieu, psalmodiaient des litanies funéraires, chantaient la victoire d’Osiris. Le cortège divin rejoignait ensuite le tombeau d’Osiris.

Lors de ces cérémonies populaires, d’autres mystères plus secrets se déroulaient dans la «maison du dieu» et célébraient sa résurrection. Les témoignages les plus complets se trouvent dans les chapelles osiriennes de Dendérah, mais on a retrouvé la confirmation de la pratique de ces mystères dans les villes d’Héracleion et Canope.

Tous les ans, au quatrième mois – au cours du rituel du mois de Kohiak -, lorsque les eaux de l’inondation se retiraient pour laisser  place aux champs et aux cultures, des prêtres façonnaient des figurines d’Osiris dans la terre ensemencée gorgée de l’eau de la crue nouvelle.

La germination de ces «Osiris végétants» symbolisait le retour  la vie. L’équilibre du monde était ainsi maintenu grâce au processus de création sans cesse régénéré.

Grâce à cette puissance créatrice, le soleil surgissait des ténèbres et des profondeurs de la nuit, pour renaître chaque jour, rajeuni, comme si c’était la «première fois».

La quête d’immortalité

De nos jours, les progrès de la science réveillent à nouveau le rêve d’immortalité corporelle  et l’on nous promet à nouveau de parvenir un jour à vaincre la mort, permettant à l’homme un permanente rénovation biologique. Ce sujet de science fiction devient de jour en jour plus proche à travers les recherches du transhumanisme et de l’homme augmenté.

271_Mysteres_Osiris_6

Est-ce que ce rêve d’immortalité biologique correspondrait au mythe d’Osiris et à la vision du monde des Égyptiens ? Pas tout à fait. D’une part, car ils agissaient en harmonie avec les lois de la nature intégrant l’homme microcosme dans les lois de l’univers macrocosme et qu’ils cherchaient plutôt à développer une conscience d’immortalité au-delà de la chair périssable. En chaque être humain, le défunt en tant qu’Osiris N (1), devait continuer son voyage dans le monde invisible les yeux ouverts, donc en pleine conscience, cherchant à s’identifier à la lumière solaire, donc à la conscience transcendante de l’univers qui traverse les formes apparentes de la vie et de la mort, comme l’indique le cycle journalier du soleil.

Osiris, le premier Initié

Osiris (2) est l’Être bon. Il n’est pas seulement le dieu des morts mais avant tout «le guide des vivants». Il marque le chemin du devenir, symbolisé par le scarabée Keper : souffrir, mourir, renaître et devenir un être divin.

La mort symbolise le changement d’un état de conscience, la pratique du détachement, l’acceptation du combat pour l’existence. Osiris est le premier être qui accepte l’épreuve de la mort. Étant le premier à connaître la mort, il est le premier initié. Il ne peut avoir de transmutation sans passage par la mort qui est un retour à l’état initial, pour recueillir dans l’origine de nouvelles potentialités nécessaires à une future renaissance.

Pour les Égyptiens, la véritable mort implique l’arrêt du mouvement. Osiris représente le mouvement intérieur que chaque être doit développer pour entrer en contact avec sa propre profondeur, son propre Noun (3) ou source de virtualités.

271_Mysteres_Osiris_3

Si l’individu parvient à s’immerger en lui-même, il découvre les potentialités secrètes de son âme et peut les convoquer par leur nom pour qu’elles surgissent, tels les grains germés après la récolte.

La momie d’Osiris est un corps de substitution, une chrysalide qui permettra à l’âme de se libérer des attaches terrestres et atteindre sa dimension spirituelle. Il faut reconstituer un nouveau corps et s’en libérer pour se transmuter dans un corps de gloire, un être de Lumière. Tels sont les mystères de la matrice de transfiguration qu’Anubis transmit à Isis.

L’initiation osiriaque est un apprentissage de la loi des cycles, de l’éternel retour à l’origine et du besoin de vaincre les forces du chaos chaque nuit. En réalité, Osiris ne meurt jamais, il est dominé et immobilisé et pour cela il apparaît comme végétant, figé mais actif.

Osiris est un être qu’il faut protéger. Il est le Bien qui ne prend son sens qu’à travers la lutte quotidienne contre le Mal, symbolisé par Seth.

Mais Seth, le rebelle, le déstabilisateur provoque les forces du Bien pour les mettre à l’épreuve et les maintenir dans une constante volonté de reconstruction et de régénération. C’est comme un dissolvant universel, ce qu’il ne détruit pas, est ce qui est immortel. Telles sont les épreuves que surmonte Osiris.

271_Mysteres_Osiris_IsisIsis, la grande magicienne

Isis (4) est la force qui ne se résigne jamais. Avec amour, elle libère l’énergie pour vaincre la fatalité. Elle est Mère et engendre sur terre (monde visible) et dans l’au-delà (monde invisible).

Les formes invisibles sont en rapport avec Osiris, les formes visibles avec Horus.

Isis possède la magie de l’initiation. Son enseignement nous rappelle que l’on ne doit pas agir avec précipitation, que le Grand œuvre alchimique est un acte de patience, pratiqué à un rythme solennel et calme, comme les cycles immuables de la nature que la déesse symbolise.

Sa méthode passe par trois phases. D’abord, il faut réunir le corps d’Osiris, démembré par Seth. Il représente le Tout que les forces contradictoires de l’expérience dispersent et que chacun de nous doit restructurer en soi. Les moyens proposés par Isis sont d’ordre magique, rituel et cognitif à travers des mythes et des symboles.

Ensuite,  il s’agit d’analyser et  de mettre en ordre tous les éléments trouvés : classifier tout ce que contiennent la chambre secrète et la matrice du sarcophage. À ce moment, Isis devient Maât et dispense l’intelligence qui permet de reconstituer un ordre vital.

Et pour finir, la révélation des enseignements de Toth permet d’établir un lien de magie sympathique avec les Mystères du Ciel.

En réalité, Isis et Osiris, agissent ensemble, – elle dans un rôle actif, et lui dans un rôle passif, en tant que gardien des potentialités et des secrets -, transmettant la science secrète de Toth : acquérir les connaissances sacrées, discerner et analyser les connaissances, parvenir à l’intégration de l’âme individuelle dans le Tout.

Ainsi cette exposition nous montre, à travers les mythes de renaissance d’Osiris, comment procéder de manière symbolique à une renaissance de soi-même : en pratiquant une introspection de soi-même, en se détachant des attitudes et comportements erronés, pour renaître chaque jour, développer les potentialités en soi et devenir chaque jour meilleur.

 

(1) Derrière le nom d’Osiris, N représente le nom du défunt
(2) et (4) : textes résumés du livre Egipto invisible de Fernando Schwarz (Ed Kier).
(3) Océan primordial, réservoir de toutes les potentialités de l’existence
 Par Laura WINCKLER

A lire :

Osiris, mystères engloutis d’Égypte, Franck Goddio, David Fabre, Ed Flammarion. Catalogue de l’exposition très complet et avec de belles illustrations

  • Revue Acropolis n° 206 (mai 2008) : La réincarnation en Égypte ancienne par Fernand Schwarz
  • Revue Acropolis n° 190 (décembre 2005) Momifications et rite funéraires, par Jorge Angel Livraga
  • Thèbes, Jorge Angel Livraga, Éditions Acropolis, 2016

  • Le 4 février 2016
  • Art Symbolisme
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