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Tag Archives : vision du monde

Ré-enchanter le monde, retrouver du sens

Ceux qui se reconnaissance dans Narcisse seront fascinés par les miroirs et les dîners aux chandelles en tête-à-tête.

Dans un précédent article (1) nous avions exploré les prérequis pour un ré-enchantement du monde, notamment notre capacité à « décoloniser » notre imaginaire et à questionner nos représentations. À présent nous proposons un certain nombre de paradigmes qui pourraient fonder ce ré-enchantement et contribuer à son développement dans nos sociétés, sans que cela soit bien sûr exhaustif.

Nous en avons déterminé quatre principaux :

La conscience de groupe

La conscience de groupe n’est pas une simple conscience du groupe commune à toutes les cultures qui privilégie ce que l’on appelle aujourd’hui le « vivre ensemble », ce que l’on nommait naguère la convivialité ou le partage. Un groupe ressemble à une chaîne d’or avec des anneaux réunis les uns aux autres : sa force dépend du maillon le plus faible. Que signifie alors « être le maillon d’une chaîne humaine » ? Cela signifie être soi-même jusqu’au bout des ongles dans l’interdépendance. Et, dans notre lecture symbolique « être soi-même » veut dire accomplir son mythe fondateur, réaliser en conscience et en acte les schèmes de sens qui nous fondent. Alors un groupe « d’âmes » se forme naturellement entre ceux et celles qui se reconnaissent comme porteurs de schémas d’existence communs. Plus tard ces mythes se rassembleront à leur tour pour porter la note commune de l’humanité.

Ceux qui se reconnaissance dans Narcisse seront fascinés par les miroirs et les dîners aux chandelles en tête-à-tête.

Ceux qui se reconnaissance dans Narcisse seront fascinés par les miroirs et les dîners aux chandelles en tête-à-tête.

Voici quelques exemples de « mythes fondateurs » empruntés à la mythologie grecque pour :
Ceux qui se reconnaissance dans Narcisse (2) seront fasciné par les miroirs et les dîners aux chandelles en tête-à-tête. Et s’ils suivent jusqu’au bout le chemin proposé par l’Enfant, ils resteront un jour immobiles à se regarder dans le vrai miroir, dans le lac de leur intériorité jusqu’à en mourir. Jusqu’à épuiser leur narcissisme et découvrir la source de cet amour qu’ils eurent tant de mal à donner.
La grande famille des Narcisses apporte au monde cette sensibilité à fleur de peau qui, à force de s’approfondir et de descendre dans les entrailles, ouvre les hommes à un authentique émerveillement devant la beauté du vivant.

La grande famille des Icariens nous rappelle sans cesse qu’un monde meilleur et différent est toujours possible, à condition toutefois de vérifier que notre sincérité est bien chevillée à notre corps.

La grande famille des Icariens nous rappelle sans cesse qu’un monde meilleur et différent est toujours possible, à condition toutefois de vérifier que notre sincérité est bien chevillée à notre corps.

Dédale et Icare jouent une toute autre partition (3). Dédale, qui se traduit du grec par « ingénieux », est l’ingénieur précisément du labyrinthe de Cnossos (« gnose ») et de nombreux autres jouets. C’est l’archétype du technicien capable, par ses réalisations, d’imiter la nature et de ruser avec elle. Mais, nous dit le mythe, à chaque nouvelle réalisation le vivant s’éloigne et son univers devient aussi complexe qu’irrespirable. C’est pourquoi l’archétype de l’ingénieur enchaîne sur une autre image représentée par son fils Icare : le désir irrépressible de sortir du labyrinthe en cherchant à s’envoler vers un nouveau soleil, vers une vérité ontologique. Mais le jeune homme, en s’approchant du soleil, voit la fine pointe de cire qui relie ses ailes d’aigle à son corps d’enfant fondre. Et c’est la chute suivie de la noyade. En un mot si Icare avait été sin cera (du latin « sans cire ») qui a donné « sincère » en français, il aurait réussi son aventure.

La grande famille des Icariens nous rappelle sans cesse qu’un monde meilleur et différent est toujours possible, à condition toutefois de vérifier que notre sincérité est bien chevillée à notre corps. Cette histoire traite bien sûr de la difficile question philosophique de la vérité et du mensonge.

La grande famille des Prométhéens apporte aux hommes la liberté, la pensée inventive et le courage de questionner sans cesse les évidences des autres.

La grande famille des Prométhéens apporte aux hommes la liberté, la pensée inventive et le courage de questionner sans cesse les évidences des autres.

Et puis il y a encore Prométhée associé au moderne mythe du Progrès, qui vacille depuis quelques années (4). Tous ceux qui pensent qu’une meilleure invention sauvera le monde, que demain sera plus beau qu’aujourd’hui et qu’une meilleure théorie va résoudre les problèmes du chômage, sont des enfants de Prométhée. Le Titan défend la libre pensée et la liberté humaine. Mais c’est aussi un fou de la lumière qui ne mettra jamais les pieds dans la fange. Sa force, ce sont les étincelles de connaissance qu’il a volé aux dieux et qu’il donne sans relâche aux hommes. Ceux-ci, par mésusage de ces savoirs, produiront, dans le mythe, le Déluge climatique qui nous pend aujourd’hui au nez. Le mythe se « résout » lorsque Prométhée accepte enfin la bague qui va lui permettre de monter dans l’Olympe. C’est en osant une alliance avec les qualités du féminin que ces merveilleux savoirs deviennent inoffensifs.

La grande famille des Prométhéens apporte aux hommes la liberté, la pensée inventive et le courage de questionner sans cesse les évidences des autres. Cette histoire traite de l’importante question du mariage entre les valeurs masculines et les valeurs féminines. Ce féminin métaphorisé dans les mythes par le personnage de la Grande Déesse et dans la vie ordinaire par l’immense Nature. Ce féminin si maltraité par une société patriarcale et prométhéenne.

 L’intrication quantique

Chaque fois que l’on pose un acte, que l’on a une pensée ou une émotion, cela crée un champ morphogénétique, une vallée plus ou moins profonde dans la conscience collective.

Chaque fois que l’on pose un acte, que l’on a une pensée ou une émotion, cela crée un champ morphogénétique, une vallée plus ou moins profonde dans la conscience collective.

La mécanique quantique nous apprend que, dans certaines conditions, les particules élémentaires sont « liées » quelque soit la distance qui les sépare (5). Ce phénomène disparaît lorsqu’elles commencent à s’unir pour former des atomes, des molécules et bien sûr des êtres humains. Mais nous pouvons cependant penser l’intrication de manière analogique. Nos consciences individuelles serait-elles « intriquées » ? Est-il de plus en plus facile d’apprendre à faire du vélo et à utiliser un ordinateur ? Car si nos consciences sont liées, l’expérience des un profite à celles des autres. C’est en tout cas ce que le biologiste Rupert Sheldrake semble avoir démontré à travers de nombreuses expériences (6).
Chaque fois que l’on pose un acte, que l’on a une pensée ou une émotion, cela crée un champ morphogénétique, une vallée plus ou moins profonde dans la conscience collective. Ces vallées, formées de tous nos savoirs et de toutes nos habitudes se retrouvent partout dans le monde et profitent à l’ensemble des consciences humaines. Chaque acte que l’on pose nourrit l’humanité en beauté, en intelligence ou en horreur, selon sa nature.
Que serait un monde où chacun serait conscient des interconnexions de toutes les consciences ?

L’historialité de l’Histoire

Nous devons ce concept d’« historialité » à Henry Corbin, philosophe, traducteur et orientaliste français (1903-1978). Posons une hypothèse : ce n’est pas l’histoire qui crée les mythes, mais les mythes qui produisent l’histoire. À priori l’histoire semble chaotique, sans queue ni tête. Il n’en est peut-être rien. Pourquoi l’Empire Romain a-t-il disparu ? Probablement parce que les Romains eux-mêmes n’y croyaient plus, parce qu’ils n’étaient plus animés par le mythe fondateur qui alimenta leur civilisation millénaire. Nous sommes aujourd’hui dans une situation comparable où l’adhésion au mythe du Progrès s’estompe, laissant une sorte de no man’s land idéologique où s’engouffrent tous les démons du passé.

Nous sommes aujourd’hui dans une situation comparable où l’adhésion au mythe du Progrès s’estompe.

Nous sommes aujourd’hui dans une situation comparable où l’adhésion au mythe du Progrès s’estompe.

Certaines époques furent des périodes d’enthousiasme et de foi envers de nouveaux modèles de civilisation. Ainsi, dans les années 1920, pourquoi tant de personnes donnèrent-t-elles joyeusement leur vie au nom d’un idéal appelé « communisme » ? Un archétype était en train de s’incarner dans l’Histoire et certains y furent particulièrement sensibles (7). Il faudrait alors décoder ces grands courants de force qui animent l’histoire pour ne plus en devenir l’otage, pour les accompagner et les transformer en espérances. S’ils ne sont pas métabolisés par les citoyens ils bouleverseront encore et toujours les sociétés et manipuleront les individus.
Devenir conscient des cycles historiques signifie acquérir, à chaque période de l’histoire, un plus haut degré de liberté et créer un jour une société ré-enchantée ou « l’âme du monde » deviendra de plus en plus visible et opérante.

Penser globalement

Penser globalement signifie développer successivement une question en l’abordant sous son angle technique et rationnel, mais aussi en termes de complexité (8), de sens symbolique et d’opérativité sur notre conscience. « Connaissance » retrouve alors sa dimension première maintenue par l’étymologie de « con-naissance », « naître avec ».
Passons sur la technique et son idéal du « zéro défaut » si répandu dans notre monde. Edgar Morin a montré l’insuffisance de cette approche en développant la pensée complexe qui considère notre réalité comme un plat de spaghettis : si l’on cherche à en extraire un seul pour l’analyser c’est l’ensemble du système « pâtes » qui bouge. On voit immédiatement les limites de l’approche cartésienne et la nécessité de développer un regard « écologique » sur notre monde. Puis le symbolisme cherche à voir au-delà du plat de nouilles : qu’est-ce transparaît derrière ce qui paraît ? Quel sens le « hasard » de la répartition des pâtes sur l’assiette a-t-il ?
Enfin la pensée « opérative » suppose que toute connaissance authentique transforme naturellement le penseur qui « naît avec » ce qui le traverse.
Un monde ré-enchanté suppose une approche globale de la connaissance fondée sur ces quatre regards, qui sont aussi des scandales méthodologiques les uns pour les autres : la raison cartésienne, la complexité, le symbolisme et l’opérativité (9).

Article écrit d’après une conférence donnée par Luc Bigé à Bordeaux et à Paris en 2017 Aux âmes, citoyens
(1) Article de Luc Bigé, paru dans la revue Acropolis de mai 2017 (n°285) : Ré-enchanter le monde, changer notre vision de la réalité
(2) Luc Bigé, L’éveil de Narcisse, Éditions de Janus, 2006, 154 pages
(3) Luc Bigé, Icare, la passion du soleil, Éditions de Janus, 2008, 3184 pages
(4) Luc Bigé, Prométhée – Le Mythe de l’Homme – La sublime irrévérence, Éditions de Janus, 2005, 326 pages
(5) Massimo Théodorani, Entanglement, L’intrication quantique, des particules à la conscience, Éditions Macro Éditions, 2016, 185 pages
(6) Rupert Sheldrake, Réenchanter la science, une autre façon de voir le monde, Éditions J’ai lu, 2016, 602 pages
(7) La nature et le rythme d’incarnation des archétypes dans l’histoire peuvent être suivi au moyen du modèle astrologique. Lire Vers un modèle astrologique de l’Histoire  – Communisme (1846-1989) – Guerres de religion (1559-1703) et prospectives pour le XXIe siècle, Éditions de Janus, 2012, 228 pages
(8) Edgar Morin, La Méthode, (coffret en 4 volumes), Éditions du Seuil, Collection Opus, 2008
(9) Luc Bigé, La force du Symbolique, Éditions Dervy, 2003, 235 pages
 Une formation vidéo (MOOC) sur l’astrologie et le symbolisme de la mythologie grecque est proposée sur http://reenchanterlemonde.com
Par Luc BIGE
Luc Bigé
Docteur en Sciences (biochimie), s’intéresse aux voies de ré-enchantement du monde en explorant des systèmes symboliques comme l’astrologie et la mythologie grecque. Également en « relisant » les données scientifiques par la lecture symbolique.

  • Le 6 juin 2017
  • Philosophie
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« La poésie de la vie n’est pas algorithmisable »

Le contact avec l’infini transforme les sociétés et nous-mêmes

Dans son dernier livre, Edgar Morin (1) nous livre une sorte de testament philosophique et scientifique, d’une rare poésie. Malgré ses 90 ans passés, il garde l’émerveillement d’un jeune enfant. Il nous confronte à la nécessité de dialoguer avec le mystère. Rassurez-vous, il n’est pas tombé sous l’emprise d’un délire mystique ni sous celle du scientisme ou du créationnisme. Ses réflexions sont d’une grande lucidité. Il définit les deux aventures qui s’offrent à l’homme du XXIe siècle.

Le contact avec l’infini transforme les sociétés et nous-mêmes

Le contact avec l’infini transforme les sociétés et nous-mêmes.

« L’une cherche à l’extérieur à dévoiler, voire à posséder, les secrets du monde physique, de la vie, de la structure. Elle a développé une science capable de tout connaître, mais incapable de se connaître, produisant aujourd’hui, non seulement des élucidations bénéfiques mais des aveuglements malfaisants et des pouvoirs terrifiants. L’autre aventure cherche à l’intérieur de soi, à se connaître, à méditer sur ce qu’on sait et ce qu’on ne sait pas, à se nourrir de poésie vitale, à ressentir le mouvant, le beau, l’admirable »
Il précise que la première est une aventure conquérante basée sur la trinité science/technique/économie et que la seconde est l’aventure de la philosophie, de la poésie, de la compréhension, de la compassion. La première est extérieure et la seconde réclame l’éveil de l’homme intérieur.

Edgar Morin nous rappelle qu’une société humaine dirigée par la loi de l’algorithme ne conduirait pas au surhumain mais à l’inhumain. On ne peut pas éliminer l’incertitude propre à l’aventure humaine. Les choses essentielles échappent toujours au calcul : « la poésie de la vie n’est pas algorithmisable ».
L’auteur propose, — et nous ne pouvons que le soutenir —, la régénération d’un humanisme à l’échelle planétaire et enraciné dans la Terre patrie.
Nous devons accepter la part de mystère de l’existence. « L’inconnu est énigme, l’inconnaissable est mystère ». Il affirme que « la créativité est mystère ! ». Il associe la créativité à un état de transe ou de possession que nous appelons souvent inspiration.

Comme l’explique très bien Nicolas Truong (1), « Edgar Morin en est convaincu, il y a une créativité du vivant qu’une partie de la science occulte, par crainte de tomber dans l’obscurantisme du créationnisme, qui fait tant de dégâts au moment même où triomphent populisme et complotisme ».
Il nous invite à intégrer les contradictions et à adopter une posture dialogique pour que science et raison, science et poésie puissent dialoguer ensemble.
Selon Edgar Morin, « Une création humaine est une combinaison de transe et de conscience, de possession et de rationalité ».
Ce qui est merveilleux dans cette définition, c’est que, bien que l’on ne puisse pas connaître rationnellement le mystère, on peut le vivre et le faire partager.
Comme l’explique très bien Luc Bigé (3), le contact avec l’infini transforme les sociétés et nous-mêmes. Il nous apprend à déconditionner notre imaginaire, pour changer notre interprétation du monde, nous ouvrir à d’autres dimensions de conscience, intérioriser nos expériences et partager la véritable aventure humaine.

(1) Connaissance, ignorance, mystère, Éditions Fayard, 2017, 192 pages
(2) Edgar Morin dialogue avec le mystère, paru dans le journal Le Monde du 14 mars 2017
(3) Lire Ré-enchanter le monde, changer notre vision de la réalité, paru dans la revue Acropolis n°285, mai 2017. Lire également le second article de Luc Bigé, Ré-enchanter le monde, retrouver un sens, page 8
Par Fernand SCHWARZ
Président de la Fédération Des Nouvelle Acropole

  • Le
  • Editorial
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Magritte et le sens des images

René Magritte, Décalcomanie

La très belle exposition « Magritte, la trahison des images » (1) organisée à Paris jusqu’au 23 janvier 2017 permet de découvrir le très riche univers de Magritte qui poursuit à travers son œuvre une véritable quête philosophique de la lumière, en essayant de réhabiliter l’image comme porteuse du mystère derrière les formes les plus simples et banales du quotidien.

Magritte par Shapiro

Magritte par Chapiro

René Magritte (1898 – 1967) s’est forgé très sciemment l’image d’un Belge tout à fait « ordinaire », affublé de son costume sombre, sa cravate et son chapeau melon (dans le meilleur style de Dupond et Dupont) (2), avec ses habitudes bourgeoises et régulières, ainsi que sa capacité de peindre dans son salon, sans faire des taches sur le tapis, car Georgette (son épouse) n’aimerait pas cela.

Un personnage ambigu

Mais, il faut toujours se méfier des apparences, car au cœur de cette persona si bien composée, demeure une véritable énigme. Il adhère au surréalisme comme à une idéologie révolutionnaire qui « s’insurge contre toutes les valeurs idéologiques bourgeoises qui retiennent le monde dans ses effroyables conditions actuelles ». Par ailleurs, il aime les blagues et se montre comme un farceur ou un véritable Fantômas dans les petits films réalisés dans l’intimité avec ses amis.

Magritte est à lui tout seul, la synthèse de tous ses tableaux…

René Magritte, Décalcomanie

René Magritte, Décalcomanie

La décalcomanie l’exprime clairement, avec d’un côté, la silhouette de dos d’un Magritte terrestre, anonyme, banal et de l’autre, la silhouette où se découpe le ciel qui symbolise la richesse infinie de son monde intérieur. « L’artiste veut définir l’invisible grâce à un effet inattendu et bouleversant ». En s’exprimant ainsi, dans toute son œuvre, il nous rappelle que sa finalité est de changer notre vision du monde.

Sa vie sera marquée par des rencontres clés, car il cherche toujours la mise en relation des êtres, des choses et des situations. Voici quelques-unes des plus significatives sans être exhaustives.

Georgette sera son âme sœur qui l’accompagnera et l’aidera à progresser dans son dévoilement intérieur. Sa bonne humeur, sa constance et sa simplicité seront une source de stabilité pour Magritte. Giorgio di Chirico (3) l’inspirera avec ses tableaux « résultat de la recherche d’un effet poétique bouleversant obtenu par la mise en scène d’objets emprunts à la réalité la plus banale ». Salvador Dali (4) l’inspirera avec la notion de la paranoïa-critique et avec sa méthode qui essaie d’équilibrer l’état lyrique fondé sur l’intuition pure et l’état spéculatif fondé sur la réflexion. André Breton (5) et les surréalistes parisiens mettront à l’épreuve son ego et son orgueil, et lui permettront de vivre le temps de la confrontation entre les mots et les images. De ces échanges naîtra un de ces tableaux le plus célèbres, Ceci n’est pas une pipe ou la trahison des images, consolidant son dialogue entre image et poésie.

Magritte.La trahison des images.jpg

Magritte.La trahison des images

Paul Nougé, fondateur du surréalisme belge, sera son mentor et son grand ami qui l’accompagnera et l’inspirera, tout au long de sa vie.

Les grands philosophes qu’il fréquentera d’abord par l’étude, car il s’intéresse sérieusement à la philosophie dans sa quête dialectique du rapport entre le visible et l’invisible, l’être et le non être, l’apparence et la réalité. Et des philosophes contemporains tels que le philosophe belge Alphonse de Waelhens (1911-1981), Chaïm Perelman (6) et Michel Foucault (7) avec lesquels il échangera dans sa recherche de faire reconnaître son art comme une forme accomplie d’expression de l’Esprit.

Parmi ses amis galeristes, Alexandre Iolas l’aidera à s’implanter aux États-Unis et connaître un grand succès à partir des années 1950.

Le peintre des pensées

Peintre dialecticien, il s’interroge sur le rapport entre le réel et l’imaginaire. Le lien qu’il établit entre la philosophie et les artistes est qu’ils défendent la cause de l’esprit.

Il est très prolifique et l’un des peintres qui a le plus écrit pour éclairer le sens de son œuvre.

Ce qu’il fera tout particulièrement dans sa conférence sur La Ligne de Vie, I donnée au Musée royal des beaux-arts d’Anvers, le 20 novembre 1938.

Chacun de ces tableaux traite de la résolution d’un « problème » : « […] mes investigations ressemblaient à la poursuite de la solution de problèmes dont j’avais trois données : l’objet, la chose attachée à lui dans l’ombre de ma conscience et la lumière où cette chose devait parvenir. » (8)

Le Modèle rouge de Magritte

Le modèle rouge de Magritte

Dans La condition humaine, il traite du problème du vu et du caché, de la nature et de la culture… Dans Le Modèle rouge, celle de la civilisation et de la barbarie. Dans La Découverte du feu, il s’approche du sentiment que connurent les premiers hommes qui firent naître la flamme par le contact de deux morceaux de pierre.

« Une nuit de 1936, je m’éveillai dans une chambre où l’on avait placé une cage et un oiseau endormi. Une magnifique erreur me fit voir dans la cage l’oiseau disparu et remplacé par un œuf. Je tenais là un nouveau secret poétique étonnant, le choc que je ressentis était provoqué précisément par l’affinité de deux objets, la cage et l’œuf, alors que précédemment le choc était provoqué par la rencontre d’objets étrangers entre eux. » (9) Ainsi est né le tableau Les affinités électives.

 « Cet élément à découvrir, cette chose entre toutes attachée obscurément à chaque objet, j’acquis au cours de mes recherches la certitude que je la connaissais toujours d’avance mais que cette connaissance était comme perdue au fond de ma pensée. » (10).

Tout en utilisant une ligne graphique très lisse et accessible, par sa bonne maîtrise des formes dues à sa pratique d’affichiste qui sait rendre l’image tout à fait compréhensible au premier abord, il agence les objets et personnages de telle sorte que quelque chose d’inattendu et dérangeant se dégage de l’image ou de son titre.

 

Il  y a dans son œuvre une volonté très déterminée de déranger, d’interpeler, de bousculer l’observateur, à la manière d’un Socrate du pinceau qui par ses interrogations et sous prétexte de naïveté et de sa grande ignorance, fait basculer les certitudes et les apparences pour conduire son interlocuteur vers ses propres profondeurs et chercher à établir un nouveau rapport inédit avec la réalité, entre le visible et l’invisible, et à s’interroger sur le mystère qui se cache derrière l’objet le plus banal ou quotidien.

Dans cela, il fait œuvre révolutionnaire ou plutôt transformatrice des consciences. Il veut unir en chacun l’observateur et le visionnaire, le logos et l’eros, la raison et l’imagination, pour parvenir à un dépassement poétique, donc à une mutation ontologique. Il s’inspire de cette pensée d’André Breton : « La raison se propose l’assimilation continue de l’irrationnel ».

Magritte est lui-même un être simple et complexe qui se dévoile tout en se cachant. N’est-ce pas au fond ce que fait la vie elle-même à chaque instant ?

Dans un prochain article nous examinerons un autre aspect de Magritte, le peintre des paradoxes.

Par Laura WINCKLER
(1) Exposition La trahison des images
Jusqu’au 23 janvier 2017 – Centre Pompidou – Place Georges Pompidou, 75004 Paris
Tel : 01 44 78 12 33 – www.centrepompidou.fr
(2) Lire article de Tintin super héros dans revue n°280 (decembre 2016)
(3) Peintre, sculpteur, écrivain italien (1888-1978) dont les œuvres ont été admirées puis rejetées par les surréalistes
(4) Peintre, sculpteur, graveur, scénariste, écrivain catalan de nationalité espagnole (1904-1989), l’un des principaux représentants du surréalisme
(5) Poète, écrivain français (1896-1966), principal animateur et théoricien du surréalisme
(6) Belge d’origine polonaise (1912-184), professeur de logique, de morale, de métaphysique et de métaphysique, fondateur de la Nouvelle Rhétorique et l’un des chefs de file de l’École de Bruxelles
(7) Philosophe français (1926-1984), titulaire d’une chaire au Collège de France et auteur de nombreux ouvrages
(8) La Ligne de vie, I, conférence donnée au Musée royal des beaux-arts d’Anvers, le 20 novembre 1938
(9) Ibidem
(10) Ibidem
Bibliographie
Magritte, la trahison des images, sous la direction de Didier Ottinger, Éditions Centre Pompidou, Paris, 2016
René Magritte, la trahison des images, Connaissance des Arts, Hors-série, Paris, 2016
Magritte, la trahison des images, Objet d’Art, Hors-série, Dijon, 2016
La vision de la réalité et le poids des décisions, Éditorial de Fernand Schwarz, Revue Acropolis n° 278, octobre 2016
Illustrations :
Portrait de René Magritte par Chapiro 2011, Wikipedia
René Magritte, La décalcomanie, 1966, © Adagp, Paris 2016
René Magritte, Ceci n’est pas une pipe ou la trahison des images, 1929, © Adagp, Paris 2016
René Magritte, Le Modèle rouge, 1935, © Adagp, Paris 2016

  • Le 13 janvier 2017
  • Art
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